Baptisé l’Amazon africain, Jumia est né en 2012 de l’incubateur Rocket Internet. Jumia n’est pas qu’une plate-forme e-commerce, c’est aussi un vaste écosystème où les internautes peuvent réserver un hôtel, publier une petite annonce ou encore acheter un appartement. Cette galaxie est soutenue par une batterie d’investisseurs, dont deux groupes français (Axa et Orange). Un attrait qui a fait de Jumia la première licorne africaine. A l’occasion de la Paris Retail Week, qui se tient du 19 au 21 septembre à la Porte de Versailles, nous avons rencontré Juliet Anammah, la CEO de Jumia Nigéria. Interview.
L’Usine Digitale – Aujoud’hui que représente Jumia au Nigéria ?
Juliet Anammah – Au Nigéria nous sommes le huitième site le plus visité, avec 10 millions de visiteurs par mois Facebook étant le 6ème. Plus d’un million de produits sont référencés sur la place de marché et cela augmente chaque jour. Nous visons la barre des cinq millions de produits en 2018. Nous avons plus de 6000 vendeurs actifs sur Jumia Nigéria. Actifs signifiant qu’ils ont vendu au moins un produit au cours du dernier mois. Vous pouvez trouver toutes sortes de produits sur Jumia : des panneaux solaires, des couches (nous voulons être le premier vendeur de couches en ligne), des vêtements, des télévisions, des machines à laver, des matelas, des meubles et même de la nourriture comme du lait, du sucre, du riz. Je ne peux pas vous communiquer le chiffre d’affaires, mais celui-ci est en croissance en devise locale. Et, 70% des gens qui achètent sur Jumia Nigéria achètent depuis l’application mobile.
Quelles sont les attentes spécifiques des clients ?
J. A. – En Afrique, les attentes des clients ont évolué. Au début, quand on a lancé Jumia en 2012, les clients ne prêtaient pas attention aux délais de livraison, désormais ils veulent être livrés le plus rapidement possible, trouver le meilleur prix sur Jumia et des produits de qualité. Ils veulent aussi pouvoir payer le plus facilement.
Justement, les clients payent-il uniquement après avoir réceptionné leur colis ?
J. A. – Il y a plusieurs combinaisons. Les clients peuvent régler leurs achats en amont avec leur carte bancaire, ils peuvent payer lors de la livraison en cash ou avec leur carte sur le terminal de paiement du livreur ou avec Jumia Pay que nous venons de lancer. Comme Amazon Pay, il s’agit d’un portefeuille électronique directement relié au compte bancaire du client. D’un point de vue e-commerçant, bien sûr, tous ces modes de paiement à gérer ajoutent de la complexité mais vous devez proposer ces différentes solutions pour répondre aux attentes des clients.
Au niveau logistique, les livraisons sont-elles réalisées par vos propres soins ?
J. A. – Nous avons un système central que nous utilisons pour suivre les commandes des clients et rerouter les livraisons selon la localisation des commandes. Dans les villes où nous avons notre propre flotte nous gérons la logistique. Pour les autres, nous basculons la gestion des livraisons vers un opérateur tiers. Nous nous appuyons sur notre plate-forme Jumia Services qui est une sorte de marketplace pour la logistique.
Qu’en est-il des délais de livraison ?
J. A. – Actuellement nous proposons une livraison dès le lendemain et nous nous apprêtons à proposer la livraison le jour même. Ce service sera d’abord proposé à Lagos (la capitale du Nigeria, ndlr) pour les produits commandés avant 12h et stockés dans notre entrepôt. Sinon, généralement les délais de livraison à Lagos oscillent entre 2 et 4 jours. En dehors de la capitale, ils varient entre 4 et 6 jours. Si les produits proviennent de vendeurs internationaux, les délais vont de 8 à 13 jours.
Jumia n’est pas encore rentable et se concentre sur la croissance. Grâce à quels leviers comptez-vous grossir ?
J. A. – La croissance vient de trois choses. L’assortiment est un élément clé. Plus il est important, plus vous êtes pertinent, plus les gens ont des raisons de venir sur Jumia. Nous voulons donc être une marketplace pour tous les produits du quotidien. Le deuxième objectif est de faire grossir notre base de vendeurs et le dernier consiste à faire croître le nombre de clients actifs et récurrents.
Jumia n’est pas juste une plate-forme e-commerce, mais un écosystème complet…
J. A. – Oui, dans notre écosystème vous pouvez commander de la nourriture sur Jumia Food, réserver un voyage sur notre plate-forme Jumia Travel comme vous le ferez sur Booking.com. Vous pouvez aussi acheter un appartement, réaliser des paiements. Et nous sommes en train de développer Jumia One. L’idée est de mettre au point une plate-forme où les clients pourront réaliser et régler leurs différentes transactions sur une seule et même application.
Quels sont vos principaux concurrents ? Amazon est-il présent ? Représente-il une menace pour vous ?
J. A. – Au Nigéria, notre principal concurrent en ligne est Konga. Dans le offline, notre plus grand concurrent ce n’est pas un distributeur mais les marchés. Amazon n’est pas présent au Nigéria, mais il l’est en Egypte avec Souq. Si Amazon se développait au Nigéria cela représenterait à la fois une menace et une opportunité pour nous. Une opportunité parce que cela permettrait d’éduquer davantage la population au e-commerce, mais aussi parce que cela pousserait plus les paiements dès l’achat.
Selon vous, le e-commerce va façonner l’avenir de l’Afrique… Pourquoi ?
J. A. – Oui, selon moi, le e-commerce est une bouffée d’oxygène pour l’Afrique. En Europe ou aux Etats-Unis, les infrastructures de transport et de télécommunication sont très développées. Même chose pour le réseau du retail physique. Dans une même avenue vous pouvez retrouver plusieurs restaurants McDonalds par exemple et vous avez un très large éventail de produits. Tout ça est très fragmenté en Afrique et ce qui est très fragmenté aussi c’est l’information. La transparence et la visibilité de l’information sont très difficiles d’accès. Il y a une vraie asymétrie. Si vous voulez acheter une veste au meilleur prix, vous êtes obligé de vous rendre dans plusieurs points de vente qui sont éloignés les uns des autres. Le e-commerce permet de rendre disponible cette information, de tendre vers plus de symétrie. Vous n’avez plus besoin de rester coincé deux heures dans les embouteillages. Vous pouvez comparer en ligne. Cette nouvelle possibilité est très importante pour la croissance en Afrique.
Il y a aussi un vrai manque de données sur la performance des vendeurs. Or avec notre plate-forme nous regroupons et classons les vendeurs. Nous fournissons ainsi aux clients les outils pour vérifier la solidité des marchands. Est-ce qu’il livre à l’heure ? Est-ce qu’il offre des produits de qualité ? Est-ce qu’il envoie les articles rapidement ? Ce sont des éléments auxquels les clients n’avaient pas accès avant. Ils identifiaient un mauvais vendeur seulement après une mauvaise expérience. C’est pour ça que je dis que l’e-commerce est une bouffée d’oxygène pour l’Afrique. Cela va entraîner une croissance importante et cela va même avoir une répercussion sur la partie production. Quand vous rassemblez une importante masse de données sur ce que les clients veulent acheter vous pouvez adapter l’offre dès la production.
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