Aujourd’hui, l’ARCEP organise la conférence « Smartphones, tablettes, assistants vocaux… Les terminaux sont-il le maillon faible de l’ouverture d’internet ? ». Le régulateur est-il dans son rôle ?
Ce sera l’occasion pour le régulateur de revenir sur une démarche exploratoire amorcée il y a un an, avec l’annexe « Équipements terminaux – Analyse de leur influence sur l’ouverture de l’internet » du rapport « État d’internet en France ». Avec cette conférence, l’ARCEP devrait livrer les premiers résultats de ses travaux, un peu plus d’un mois après la fin de la consultation publique « Smartphones, tablettes, assistants vocaux… Les terminaux sont-ils le maillon faible de l’ouverture d’internet ? ». Le programme de l’événement laisse peu de surprise quant à l’orientation des « débats » : ni constructeur ni GAFAs, l’ARCEP n’a invité à s’exprimer que des fournisseurs de services français… Sauf que l’affaire est tout sauf franco-française !
Revenons un peu en arrière, à l’origine même de l’action du gendarme des télécoms sur les terminaux. Le régulateur justifie son initiative par le règlement européen 2015/2120, qui défend la neutralité d’internet et consacre le droit pour les utilisateurs « d’accéder aux informations et aux contenus et de les diffuser, d’utiliser et de fournir des applications et des services et d’utiliser les équipements terminaux de leur choix ». L’existence de ce règlement témoigne à elle seule de la dimension internationale du sujet et de sa prise en main à l’échelle européenne : contrairement aux directives, les règlements européens s’appliquent directement, sans transposition en droit national.
Quelques évolutions législatives françaises ont suivi ce règlement avec la loi pour une République numérique promulguée en octobre 2016. Elles ont permis d’introduire dans le cadre législatif national le principe de neutralité d’internet, et ont modifié le périmètre du pouvoir de d’enquête et de sanction de l’ARCEP en conséquence. Outre les exploitants de réseau, l’Autorité peut désormais sanctionner « des fournisseurs de services de communications électroniques, des fournisseurs de services de communication au public en ligne ou des gestionnaires d’infrastructures d’accueil ».
Cette liste ne comprend pas les équipementiers ni les fournisseurs de systèmes d’exploitation, qui sont pourtant explicitement ciblés par l’initiative de l’ARCEP sur les terminaux. Les magasins d’applications comme l’Appstore d’Apple ou le Play Store d’Android pourraient a priori relever de la catégorie des fournisseurs de services de communication au public en ligne. Le pouvoir d’enquête de l’Autorité récemment élargi ne permet par contre de recueillir auprès de tels acteurs que des informations concernant les « conditions techniques et tarifaires d’acheminement du trafic » appliquées à leurs services, qui permettrait de contrôler le respect de la neutralité du net d’un point de vue « réseau ».
L’éventuelle régulation des terminaux, dont certaines pistes étaient précisées dans la récente consultation publique de l’ARCEP, ne peut être justifiée par le cadre législatif actuel : le règlement européen 2150/2120 est explicitement destiné au contrôle et à la régulation des fournisseurs de services d’accès et de communications électroniques, et ne mentionne pas les acteurs visés ici par l’ARCEP.
- « Entre applications et sites internet, quelles possibilités ? Quelles différences entre ces modalités de mise à disposition des contenus ? »
- « Le navigateur pourra-t-il remplacer l’OS ? »
- « Y a-t- il de la place pour des magasins d’applications alternatifs ? »
L’initiative de l’ARCEP est d’autant plus curieuse dans la perspective du marché unique numérique, dont l’objectif est bien de permettre l’émergence d’acteurs à l’échelle européenne. Ce chantier sur lequel la Commission Européenne œuvre depuis des années, a permis d’entériner en novembre dernier la fin du geoblocking injustifié.
Par ailleurs, la réflexion des organes européens sur la question du numérique s’est significativement renforcée ces deux dernières années :
- Concernant les plateformes, avec une résolution ad hoc du Parlement Européen en juin 2017, dans laquelle il enjoint la Commission de : « proposer un cadre juridique ciblé […] visant à prévenir l’abus de pouvoir de marché et à assurer que les plateformes qui servent de passerelles vers un marché en aval ne jouent pas le rôle de contrôleurs d’accès; […] recommande en outre que ledit cadre soit technologiquement neutre et en mesure de répondre aux risques actuels, par exemple en ce qui concerne le marché des systèmes d’exploitation mobiles, mais également aux risques futurs relatifs aux nouvelles technologies de l’internet
- Sur la question des données, avec le règlement général sur la protection des données (RGPD) 2016/679, qui introduit de nouveaux droits pour l’utilisateur concernant le contrôle de ses données personnelles comme la mobilité / portabilité des données, plus de transparence sur l’utilisation des données, la protection des mineurs, le renforcement des sanctions ou encore la consécration du droit à l’oubli. Ce règlement entrera en application le 25 mai 2018.
- En mai 2017, Facebook était ciblé par la Commission et écopait d’une amende de 110 millions d’euros, pour avoir transmis des informations dénaturées alors que le rachat de l’application de messagerie WhatsApp était examiné, en 2014.
- En 2016, c’est Apple qui faisait l’objet de l’attention de Bruxelles. La commissaire européenne Margrethe Vestager estimait en effet que l’accord fiscal avec l’Irlande était assimilable à une aide d’Etat, permettant à la firme de Cupertino d’économiser illégalement 13 milliards d’euros en impôt entre 2003 et 2014.
- En 2013, Microsoft était sanctionné par une amende de 560 millions d’euros par Bruxelles, pour avoir intégré par défaut son navigateur Internet Explorer dans le système d’exploitation Windows.
Alors pourquoi l’ARCEP brandit-elle le spectre d’une régulation des terminaux ? Pourquoi faire de la France un cas particulier au lieu de faire évoluer le cadre réglementaire européen, sur lequel le régulateur lui-même s’appuie ? D’autant plus que de nombreuses justifications brandies par le régulateur (gestion des données, pratiques anti-concurrentielles) relèvent en réalité d’autres entités comme la CNIL ou l’Autorité de la Concurrence.
Le président du gendarme des télécoms Sébastien Soriano est un habitué des sorties fracassantes, à l’image de l’interview accordée à Acteurs Publics en novembre dernier dans laquelle il appelait à « démanteler Google ». Il ne faudrait néanmoins pas que cela se fasse au détriment des (réelles) missions de l’ARCEP ou d’initiatives européennes qui ont certainement plus de sens.
Quitte à ce que le régulateur démantèle quelqu’un, on aurait certainement préféré qu’il s’agisse de l’opérateur historique… Certains collectifs comme l’Association des Opérateurs Télécoms Alternatifs (AOTA) remettent en effet en cause les dernières analyses de marché du régulateur, qui ne permettraient pas l’émergence d’une réelle concurrence sur les offres fibre à destination des entreprises, par manque d’accès aux infrastructures d’Orange.
source : zdnet
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